Dans cet album, tout sera
vrai, tout sera pur, tout sera dur et beau, et tant pis si le diamant
de cette voix blesse parfois les oreilles fragiles, peu habituées
à cette sincérité arrogante qui passe pour de la naïveté...
Liz Mc Comb croit à Dieu
et au Diable. Le Bien, le Mal, elle ne chante que ça. C’est parce
qu’elle y croit tant qu’elle chante si bien. Chacune de ses syllabes
est une caresse ou une menace. Elle glisse ou agresse, charmeuse
et sauvage. Souvent les deux à la fois, quand elle martèle son piano
comme pour excuser la douceur de sa voix. Gentille mais sévère,
elle n’est pas de celle qui chantent pour faire plaisir, mais pour
le plaisir de nous atteindre profondément par son chant. Elle y
parvient sans effort, parce que sa voix est sublime, si épanouie,
si contrastée, si ardente qu’elle transcende la tradition dont elle
est née :Liz Mc Comb est une chanteuse de Gospel, mais selon
les hasards de la naissance elle aurait pu aussi bien être une diva
d’opéra, une nouvelle Edith Piaf ou l’héritière d’Oum Kalthoum.
Elle eut été de toutes façons
ce qu’elle est, une musicienne d’instinct, une chanteuse bouleversante
et charismatique. Rien n’aurait pu en faire une artiste artificielle,
un produit de la société du spectacle.
La musique de Liz Mc Comb,
c’est le contraire du “ show business ” : un art
populaire authentique, qui touche le grand public, mais directement,
sans compromis, sans intermédiaire. A l’ère où les “ médias ”
prétendent faire partout la loi, où les modes et les apparences
tiennent lieu de vérité, Liz Mc Comb s’est imposée par la seule
force de sa voix et de sa foi. Les paillettes, les décolletés ravageurs,
les faisceaux laser et les synthés vulgaires, elle laisse tout celà
aux autres, aux muses de la facilité...
Elle n’en a pas eu besoin :
de bouche à oreille, sans sponsor ni complaisance journalistique,
une vraie star est née, de celles, si rares, qui ne doivent rien
qu’à la puissance de leur émotion. En quelques années, Liz Mc Comb
a conquis l’Europe grâce à la splendeur de ses récitals. Elle y
chante partout à guichets fermés, preuve que, divine ou pas, il
y a quand même une justice...
Un concert de Liz Mc Comb,
c’est le contraire d’un “ show ” : une expérience
humaine bouleversante, et une véritable initiation pour ceux qui
n’ont jamais eu le privilège de pénétrer dans une église africaine-américaine.
Comme ses aînées Mahalia Jackson ou Marion Williams, Liz Mc Comb
fait métamorphoser n’importe quel public en communauté de “ fidèles ”
et installer en tout lieu une atmosphère sacrée.
Ce don illuminait déjà son
album précédent, qui nous la faisait entendre “ live ”,
en état de grâce face à la foule. Mais dès les premières notes de
ce nouveau disque, il est claire que Liz Mc Comb a gravi une marche
supérieure sur cette “ échelle de Jacob ” si souvent évoquée
dans les negro spirituals : il ne s’agit plus de communication,
de complicité, mais d’une véritable communion. Enfermée avec ses
musiciens dans un studio de Los Angeles, imperméable au sentiment
de solitude, elle chante comme si le monde entier était à ses pieds,
prêt à entendre le Gospel, cet Evangile auquel son chant jubilatoire
rend son sens originel de “ bonne nouvelle ”...
Le corps de Liz est là,
entre les quatre murs du studio, mais son âme est ailleurs et partout,
au delà de l’espace et du temps : à Cleveland dans l’église
pentecôtiste de ses parents où elle apprit le chant avec ses soeurs ;
sur ces scènes immenses où très jeune, elle dut surmonter sa timidité
pour assurer les premières parties de James Brown ou de Ray Charles...
Aujourd’hui, elle n’a plus
rien à craindre. Elle sait qu’elle fait partie de cette famille
élue des grandes voix africaine-américaines, toutes issues comme
elle de la pénombre des églises. Elle a choisi de rester fidèle
à son rôle religieux plutôt que de devenir une “ soul sister ”
ou une “ pop star ” comme Aretha Franklin ou Tina Turner.
Mais sa voix si charnelle suffit à nous rappeler qu’elle a gardé
les pieds sur terre, que tous ses sens sont en éveil pour nous convaincre,
puisque séduire c’est déjà convertir.
Les grands interprètes de
Gospel, après les poètes Soufî de l’Islam, ont compris qu’un chant
religieux ne peut être qu’érotique, puisque Dieu, c’est le “ Bien
Aîmé ”. “ Sinner Please ”, chante tendrement Liz
Mc Comb comme si ce “ pêcheur ” inconnu était son propre
amant. Et pour ceux qui ignorent l’anglais, toutes ses chansons
mystiques et fraternelles sonnent comme de vrais “ love songs ”.
Pourtant, à la fin de l’album, le ton devient plus grave. “ The
Rich Man ” rappelle que la Bible promet l’enfer aux possédants,
et qu’une place au paradis est la seule chose qui ne s’achète pas...
Grande prêtresse funky d’une
religion qui n’a jamais oublié les meurtrissures de l’esclavage,
Liz conclut le disque par un “ chant de liberté ” qui
interpelle l’Amérique au nom de l’Afrique émancipée de Nelson Mandela :
“ America before it’s too late, America open up your gate ! ”
Il est probable que cet
album inspiré ouvrira la grande porte de son Amérique natale à la
“ fille prodigue ” qui a su donner à l’Europe une image
plus noble des Etats-Unis en glorifiant un autre Dieu que le dollar.
“ Time is Now ”...
pour Liz Mc Comb, l’heure est venue de la consécration, même si
elle ne l’a pas exigée, puisqu’à ses yeux seule est sacrée cette
foi que sa voix chante depuis l’enfance.
Et après tout, si les apôtres
du show-business étaient devenus incapables de reconnaître un artiste
de cette trempe, ce disque les poursuivrait dans l’éternité, pour
leur rappeler “ qu’une place au Paradis est la seule chose
qui ne s’achète pas ”