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LIZ
Mc COMB -
FIRE
LE FEU DE JOIE DE LIZ MC COMB
Quand elle enregistra il y a dix ans son premier CD " Acoustic
Woman ", Liz Mc Comb bouleversait déjà tous ceux qui la découvraient.
Mais elle était encore presque ignorée au-delà du " Cénacle
" des amoureux du Gospel.
Parmi eux Maurice Cullaz aura été un prophète, consacrant des
pages et des émissions de radio enthousiastes à cette juvénile
inconnue tombée du ciel en Europe dans les années 1980. Véritable
" allumée " du Gospel, un des tout premiers Européens
(premier " Blanc " peut-être ?) à se passionner totalement
pour cette musique dès ses débuts dans les années 1930, puis ami
de Sister Rosetta Tharpe, Mahalia Jackson et Marion Williams comme
de Louis Armstrong, de Duke Ellington, de Ray Charles ou de James
Brown, Maurice Cullaz a été jusqu'à la fin de sa vie le premier
" militant " de Liz Mc Comb.
Même au téléphone il nous harcelait pour nous expliquer que du
cœur, de la voix et du piano de la jeune Liz, il sentait surgir
ce qu'il appelait bizarrement " la vraie flamme ".
Alors avant d'écrire un mot sur " Fire ", je pense à
" feu Maurice Cullaz " et à ses funérailles qui auraient
été si tristes si Liz Mc Comb n'avait osé toute seule y incarner
face au mystère tragique de la mort cette explosion de courage,
de foi et de joie que la musique devrait partout opposer au malheur
et au désespoir.
Et moi qui ne " crois " pas, je m'agenouille humblement
au côté de Liz Mc Comb pour dire à " feu Maurice Cullaz "
et à sa femme Vonette : " God Bless You ! We Love you forever
! "
UNE MUSIQUE DE L'AMOUR
Pardon pour ce " message personnel
", mais si vous avez acheté ce disque, c'est que vous savez
déjà que cette musique n'est pas comme les autres…
Tous ceux qui la font ou qui simplement l'aiment et l'écoutent
sont par définition frères et sœurs. Vous ne me connaissez pas
personnellement, vous ne savez pas plus qui était Maurice Cullaz,
mais si vous avez acheté un disque de Liz Mc Comb, vous faites
partie de sa famille. Nous sommes des millions, c'est la plus
grande famille du monde.
C'est la magie du Gospel, une musique qui fait de tous les humains
des frères et sœurs.
Elle vise ce que certains appellent " l'âme " et elle
l'atteint à coup sûr. Déjà quand on se contente de l'écouter,
on en perd l'équilibre. Demandez-moi en plus d'écrire dans cette
fournaise sans émotion personnelle, comme si ce n'était que des
mots sur des notes…
Il n'y a pas que ça dans ce disque. Il y a des cris, des gémissements,
des hurlements, des plaintes, des soupirs et surtout des rires.
Car il n'y a rien de triste dans le Gospel. C'est la musique qui
a inventé le rire absolu, celui qui balaie les larmes comme un
essuie-glace de l'âme. Il suffit de côtoyer (ou simplement d'écouter)
Liz Mc Comb et les siens pour se sentir gêné et même idiot d'éprouver
de la tristesse, même dans les moments les plus tragiques de la
vie.
Le Gospel est un chant bizarre, un feu de joie qui a pris dans
le désert de la souffrance, un chant jailli du fond du désespoir
qui a réconcilié la terre et le ciel. Qu'on y croie ou pas, ça
marche. Comme ces médecines africaines qui ne soignent rien mais
guérissent tout.
Pour bien écouter cet album il faudrait évacuer tout préjugé,
à commencer par cette ironie très facile qui justement ose prétendre
nous prémunir contre tous les préjugés.
Oublions notre culture, à commencer par cette pseudo-science triomphaliste
qui a mené le monde jusqu'à la catastrophe totale qu'elle reconnaît
aujourd'hui et qui nous expliquait naguère que " la musique
n'est qu'un bruit organisé ". Place à l'émotion pure…Car
selon Liz Mc Comb, la musique n'est qu'amour, fraternité, indignation
aussi mais avant tout solidarité et tendresse, dissolution des
solitudes dans l'harmonie. Liberté…
Ecoutons pour commencer ce " Song of Freedom " de Liz
Mc Comb, qui soudain disjoncte totalement et comme cela arrive
souvent dans les églises afro-américaines ainsi que dans bien
des rituels animistes africains se met à chanter " en langues
" : c'est à dire dans une langue totalement incompréhensible
sauf (à son avis) par Dieu ou (selon d'autres comme moi) par un
" ethno-psychiatre ", qu'importe ! La musique est là
et elle brûle, son feu dévaste sur son passage toute opinion,
tout sarcasme qui prétendrait s'y opposer…
Même si cette chanson n'est pas la meilleure de Liz Mc Comb, la
façon dont brutalement elle s'en arrache complètement pour allumer
un tel incendie de syllabes tout en faisant swinguer son piano
sur une rythmique aussi carrée, c'est pour moi un sommet de cet
album et la raison pour laquelle - malgré un " shunt "
que je désapprouve - il devrait normalement réconcilier enfin
tous les amateurs de free, de funk, de rock et de soul.
C'est dans cet oubli total des styles que le Gospel est vraiment
la " musique de l'amour ".
DIX ANS DE FEU SACRE,
DE L'ETINCELLE A L'EXPRESSION PERSONNELLE
Vous l'avez compris, nous parlons ici de
la première anthologie d'une grande musicienne et pas d'une compilation
des " tubes ", réels ou potentiels de Liz Mc Comb… qui
d'ailleurs ne comprendrait probablement rien du tout à ce langage!
Chacun de ses albums était d'ailleurs très différent des précédents
et toujours très humain, très personnel, avec les défauts de ses
qualités et les qualités de ses défauts.
" Acoustic Woman " (1991-92) merveilleux brouillon,
une sorte d'incunable musical dominé par cet extraordinaire duo
avec le contrebassiste Pierre Michelot, la plus belle version
sans doute depuis Armstrong de " Sometimes I Feel Like a
Motherless Child ".
" Rock My Soul " (1993), un rajeunissement spectaculaire
de tous ces vieux " spirituals ".
" Live " (1994-95), encore marqué par la tradition,
mais déjà plus " funk " et plus " soul ".
" Time is Now " (1996) : émergence brutale d'une auteur-compositrice
originale.
"Olympia 1998, Live" : surgis de la tradition, de nouveaux
classiques signés Liz Mc Comb comme " Fire ", "
The Man Upstairs " et " What Happened to the Love ?"
En dix ans à peine, la passion incandescente de Liz Mc Comb s'est
propagée comme un feu de brousse. La petite fille timide qui chantait
dans la modeste église de Cleveland dont sa mère est pasteur,
est devenue aujourd'hui une grande dame du Gospel. Mais elle revient
inlassablement s'asseoir sur le même banc pour chanter parmi ses
" sisters " endimanchées qui ne sont pas plus qu'elle
impressionnées par son succès…
Car la musique de Liz Mc Comb est aussi éloignée des paillettes
du show-business que le chant anonyme mais souvent sublime de
ces pieuses " sisters " qu'on qualifierait ailleurs
de " dames patronnesses " ! Et c'est peut-être la clef
de son ascension triomphale. Au moment où elle s'apprête pour
sa première grande tournée américaine, Liz Mc Comb est déjà en
Europe la plus grande star du Gospel depuis Mahalia Jackson. Sans
que la presse, la radio, la télévision n'aient fait plus que le
strict nécessaire, accompagnant contraintes et forcées un succès
qui ne doit rien qu'au talent et à la passion…
En un temps où les briquets s'allument dans l'ennui des salles
bétonnées à la moindre étincelle de musiques banalisées, comme
les yeux des moutons dans les étables à l'heure de la soupe, c'est
un miracle que la " soul " de Liz Mc Comb embrase les
foules. " Whenever you pray ", dit l'une de ses chansons;
"Wherever " pourrait-elle dire, car partout ses chants
déclenchent la même réaction en chaîne d'un respectueux silence
au déchaînement de l'enthousiasme. Véritable " globe-trotter
" du Gospel, on l'a vue sortir de scène en sueur assaillie
par un public émerveillé qui parfois ignorait tout d'elle auparavant
et dans des lieux les plus divers. Elle est peut-être aujourd'hui
la seule référence musicale commune entre les grands de ce monde
réunis au Forum de Davos et les sdf de Paris qu'elle invita pour
deux concerts à l'Olympia; entre les mémés en vison de la Madeleine
et les belles en boubou de Saint Louis du Sénégal ; entre les
mélomanes du Châtelet ou de l'Auditorium Ravel de Lyon et les
jazz-fans d'Antibes, de Marciac ou de Vienne (plus de 8000 personnes
et ¾ d'heure de rappels !) ; entre les Guyanais et les Palestiniens…
Et partout, toujours, le même embrasement…
" Fire " est un hommage à cette " flamme ",
qui n'est pas seulement celle de Liz Mc Comb. On ne peut oublier
en l'écoutant le destin tragique de son peuple et la façon dont
il l'a surmonté surtout par l'espoir, la foi, l'humour, l'amour
de la musique et de la danse…
Le flambeau qu'elle a repris de ses ancêtres est en bonnes mains.
Liz est là pour remettre les pendules à l'heure, rappeler que
le Gospel est la mère de la plupart des musiques populaires actuelles,
du blues au rap, du jazz au funk, du rock au reggae…
Sans oublier la " soul ", cette version profane du Gospel
dont Liz Mc Comb serait sans nul doute une nouvelle superstar
si comme Mahalia Jackson sa foi et sa vie ne l'avait décidée à
chanter l'amour de Dieu et de l'humanité plutôt que celui des
hommes.
DOUZE CHANSONS QU'ENFLAMME L'AME DU GOSPEL
Cet album s'adresse avant tout à celles
et ceux, innombrables, qui ont découvert Liz Mc Comb dans les
dernières années sans connaître vraiment toute son histoire. On
y trouvera l'essentiel, la quintessence de son art résumée en
une douzaine de titres.
Trois (" Don't Let the Devil Ride ", " Jesus is
a rock " et " Stand by Me ") font partie de l'immense
répertoire des " spirituals " traditionnels dont elle
est l'une des meilleures interprètes et qui datent en général
du temps de l'esclavage.
Tout le reste témoigne de son immense talent d'auteur-compositeur,
mais pas au sens où l'on entend ce terme dans la " variété
", bien évidemment. Il s'agit de ce qu'on appelle des "
gospel songs ", un art devenu tout aussi traditionnel que
celui des vieux " spirituals ", sauf qu'on en connaît
les auteurs. Inventé à Chicago par Thomas Dorsey (un bluesman
de Géorgie) à la fin des années 1920, le " gospel song "
pourrait être comparé à ce que les compositeurs contemporains
ont baptisé prétentieusement " work in progress "…
Quelles que soient ses connaissances musicales (il suffit de l'entendre
seule au piano) Liz Mc Comb n'est pas du genre à s'asseoir pendant
des heures la plume en l'air devant une page blanche ! Partant
d'une mélodie très simple, des quelques accords et d'une idée
de texte qui est avant tout une émotion quotidienne, elle les
développe pendant des semaines, des mois, des années, au fil des
concerts, à l'église ou bien chez elle…
Elle les développe en même temps qu'elle les dépouille.
Liz devient sans le vouloir une rockeuse quand elle met le feu
à n'importe quel public sans se soucier de sa prononciation incompréhensible
de son " Chant de Liberté "…
Mais quand on l'écoute chanter, soir après soir, des mélodies
aussi évidentes, aussi lumineuses que " Time is Now ",
" The Man Upstairs " ou " What Happened to the
Love ? ", on est vraiment confondu par l'extrême complexité
qui sort de tant de simplicité.
Les échanges subtils de son piano avec l'orgue Hammond de son
vieux complice le Révérend Harold T. Johnson ou la basse du non
moins Révérend Titus Williams atteignent le niveau de cette musique
merveilleuse qu'on appelait jadis " funky jazz "ou "
soul jazz ", sans toujours savoir que c'était le pain quotidien
savoureux du Gospel.
Et finalement les époques, les genres, les styles se confondent
dans ce brasier primal, primordial d'où sort la nouvelle chanson
de Liz Mc Comb qui donne son titre à ce CD. " Fire ",
ce n'est plus qu'une âme qui brûle, cette flamme qui danse et
illumine le monde au-delà des frontières entre les peuples, les
races et les religions : " the soul of Gospel ".
Gérald
ARNAUD
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