Née un premier décembre, à Cleveland (Ohio), dans une famille
afro-américaine originaire du Mississippi, celle qui commença à chanter à
l’âge de trois ans avant de rejoindre le Karamu House Theater puis The
Jean Austin Singers et d’ouvrir, comme première partie, pour Bessie
Griffin, Luther Allison, B. B. King, James Brown, Ray Charles, Memphis
Slim ou Taj Mahal, entre autres, est devenue non seulement l’une des
voix marquantes du gospel et de la soul, mais ‘la’ voix du gospel en
France tant elle semble attachée à l’hexagone. C’est cette voix, cette
personnalité, cette femme que nous avons rencontré pour vous.
Paris on the move : Liz, tu as beaucoup voyagé et tu voyages toujours beaucoup…
Liz McComb :
Je suis née dans l’Ohio, à Cleveland. J’ai habité là-bas pendant des
années puis, à l’occasion d’un voyage avec un ami qui faisait une
tournée intitulée ‘La route du rock’n’roll’, j’ai rencontré une fille
qui jouait de l’orgue alors que moi, je jouais du piano. Son nom était
Clémentine Jones. Cela se passait dans les années soixante dix. Et comme
j’avais très envie de venir en Europe, j’ai profité de l’occasion. Et
comme mon impresario était installé en Suisse, j’y suis également restée
quelque temps, à Montreux, pour être précise.
Tu ne vis donc pas à Paris ?
Non, pas à Paris. Je réside, en général, à Cleveland. Ma maman est âgée
de quatre-vingt-dix ans et je reste auprès d’elle autant que je peux,
pour m’en occuper.
Liz, quelle femme es-tu ?
Je suis une femme qui croit profondément en l’amour et en la paix.
Ce sont ces valeurs qui constituent ma vie. Pour moi, rien n’est plus important que de donner de l’amour aux gens. Je suis
très sincère et ce n’est pas quelque chose que je fais pour le show business. Je donne avec mon cœur et c’est lui qui parle.
Si tu l’as en tête, tu sais que dans la chanson ‘My Funny Valentine’, il y a un passage dans lequel on dit « Tu me donnes
le sourire grâce à ton amour ». Hé bien moi, c’est ce que je fais.
Comment te considères-tu, comme une chanteuse de gospel, comme une jazzwoman
ou encore comme une blueswoman, puisque tu fais aussi l’affiche de festivals de Blues, l’été prochain ?
Je voudrais tout d’abord dire que selon moi, donner un titre à quelqu’un,
c’est un truc de maison de disques qui fait cela pour s’approprier la musique,…et la cataloguer. Moi, je suis tout d’abord
une chanteuse. Et je dois donc être considérée comme une chanteuse. C’est vrai que j’ai grandi en chantant du gospel à l’église
et on peut donc dire que je suis une chanteuse de gospel. Depuis toute petite, je chantais le gospel avec ma mère. Puis,
je l’ai étudié et je l’ai appris à l’école. J’ai aussi eu très rapidement un professeur particulier de piano. Et c’est à
ce moment là que j’ai voulu partir à Broadway. Je voulais devenir la nouvelle coqueluche de Broadway! Mais je suis restée
à Cleveland, me produisant dans des théâtres locaux. Mais, le gospel, oui, c’est mon premier amour.
Ta maman était pasteur…
Oui, mais elle ne l’est devenue qu’après le décès de mon père.
Je crois qu’elle est pentecôtiste, n’est-ce pas ?
(Sourire) Exact ! Je vois que tu es bien renseigné.
Comment fais-tu pour pratiquer ta religion lorsque tu es loin de chez toi ?
Je pratique toujours ma foi, car ma foi ne se pratique pas seulement
à l’intérieur d’une église. On peut, bien sûr, aller dans une église pour pratiquer sa foi, parce que c’est un bel endroit,
c’est vrai, mais ce n’est pas le fait de se trouver dans cet endroit qui fait que tu crois. La foi, c’est entre toi et Dieu.
La foi, c’est un état d’esprit. Et je crois profondément en Dieu.
Tu veux dire que ce n’est pas parce que l’on est pratiquant que l’on croit forcément.
Ta foi n’est pas à l’intérieur de toi ?
Non, ma foi n’est pas en moi. Ma foi est en Dieu. Je suis profondément
chrétienne et croyante, mais je reste tolérante. Je respecte les autres. Et la France, le pays où je me trouve en ce moment,
est le pays de la tolérance. On y côtoie d’autres cultures, d’autres religions. Moi, je n’ai pas besoin d’aller dans un lieu
de culte pour prier. Je peux le faire dans ma chambre, par exemple, et cela ne concerne que moi. Je ne fais pas non plus
de prosélytisme, mais je dis que je crois profondément et c’est ce qui me définit
Comment écris-tu les paroles de tes chansons? T’inspires-tu
des Ecritures, de la Bible et des Evangiles, ou bien cela vient-il de ta seule inspiration personnelle ?
Cela dépend. J’ai ma propre inspiration,
oui, et qui ne vient pas uniquement de la Bible. Elle peut par exemple trouver son origine dans la vraie vie quotidienne.
Ce que me dit Dieu m’inspire, et a du en inspirer beaucoup d’autres, même s’ils n’en parlent jamais. Regarde, par exemple
cette magnifique chanson des Beatles qu’est ‘Let It Be’. Je ne sais pas si l’avais compris, mais c’est une chanson sur la
Vierge Marie. Elle dit notamment: ‘La vierge Marie est venue à moi lorsque je me suis trouvé dans des moments difficiles’.
Cela veut donc bien dire que Dieu est avec nous dans les moments difficiles, soit à travers les Saints, soit à travers la
prière. La chanson ‘Let It Be’, d’une certaine manière, est un spiritual. D’ailleurs je crois beaucoup dans l’utilisation
des textes saints. En ce qui concerne mon inspiration, elle me vient comme cela, tout naturellement, et je pense que c’est
la même chose pour tous les artistes. Tu ne sais pas où, quand, comment, pourquoi, mais l’inspiration te vient soudain. C’est
comme l’air que tu respires.
Tu possèdes beaucoup de connaissances sur l’histoire
et l’univers du gospel. N’as-tu jamais pensé à écrire un ouvrage sur le sujet.
J’aimerais bien le faire, surtout parce que
les jeunes n’ont pas de connaissances sur cet art particulier. Ils ne voient que les rituels dans les églises. Ma grand-mère,
elle, mélangeait blues et gospel. Elle était plus dans la tradition de ce chant et faisait chanter aux gens aussi bien le
gospel que le blues. C’était même une pratique religieuse. Les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas cela. Pour moi, il
est très important de rester fidèle à la tradition. Je peux par exemple reprendre a capela des chansons que mon père chantait.
Je n’ai besoin ni de piano, ni d’orgue pour chanter, et c’est très important de pouvoir chanter ainsi, seule, sans accompagnement
musical.
Comme tu as chanté au Liban et en Palestine, également,
qu’est ce qui, selon toi, est le plus important, croire en Dieu ou en la Paix ?
Mais Dieu est Paix! Et ils ne font qu’un.
Je vais te dire une chose: tuer quelqu’un ou menacer quelqu’un ne peut être l’œuvre d’un croyant. (silence) C’est l’homme
qui fait le monde.
Tu avais enregistré « Spirit of New Orleans » avant
Katrina. Es-tu retournée là-bas depuis ?
Malheureusement non, mais je connais pas
mal de monde là-bas. Un jour, à Chicago, j’ai rencontré des gens de la Nouvelle Orléans qui venaient d’un tout petit village.
Ils avaient tout perdu à cause de Katrina et la vie était très dure pour eux. Non, malheureusement je n’ai pas eu le temps
de retourner là-bas, mais j’ai fait don de tout ce que je pouvais donner pour aider ces gens qui étaient dans le besoin.
J’ai donné tout ce que je pouvais donner.
Penses-tu que la situation s’est améliorée pour cette
région, avec l’arrivée d’Obama ?
Oui, énormément ! Cela a beaucoup changé,
là-bas. Mais il faut le dire, même avec Bush, il y a eu des choses de faites. Cela a pris du temps, mais cela s’est amélioré.
Et puis il faut dire qu’en France et aux Etats Unis, il y a la démocratie, et que tout est plus facile en démocratie lorsqu’il
y a une catastrophe de ce genre. Nous sommes bénis de pouvoir vivre en France ou aux Etats Unis. Même si cela a pris plus
de temps qu’il n’en aurait fallu, la Nouvelle Orléans s’est reconstruite, grâce au gouvernement, oui, mais grâce aussi à
des gens qui, à titre individuel, on fait de belles choses. Comme Brad Pitt, par exemple, qui a organisé la construction
de lotissements de première urgence.
Mais tu crois aussi dans les hommes, alors...
Bien sûr, car on ne peut dissocier les deux!
Venons-en à ta trilogie, « Soul, Peace & Love »,
trois CD avec des rythmes caribéens. Peut-on dire que tu fais aussi de la world music?
Worldmusic… Les rythmes venus de Martinique
ou de la Guadeloupe sont d’inspiration africaine. Les enfants d’Afrique sont allés partout. Ils sont allés aux Caraïbes,
à Cuba, dans toutes les îles de la région. Ils ont été amenés en Amérique, en France et dans bien d’autres pays encore. Il
y a donc des influences africaines un peu partout.
Doit-on alors parler de ‘global gospel’ ou bien de
« world gospel » ?
Je dirai plutôt worldmusic, parce que les
influences africaines se retrouvent partout dans le monde. Et moi, je les ai rassemblées et mélangées, principalement à cause
du rythme, car les percussions sont fondamentales dans la musique, et je les aime…!
Si l’on se réfère à ta discographie, tu sembles préférer
les enregistrements live à ceux effectués en studio ?
Pour revenir à ce que je te disais, j’aimerais
bien, un jour, faire un enregistrement live de toutes ces influences africaines car oui, je pense que je pourrais m’éclater.
C’est vraiment quelque chose à faire. Pour revenir à ta question, je dirai tout d’abord qu’en live on arrive à mieux se connaître
mais que d’un autre côté, en studio, tu as d’autres avantages. Tu peux vraiment travailler chacun des morceaux et moi, j’aime
vraiment travailler les morceaux. J’aime le travail de précision. En live, on capture un instant et on ne peut pas revenir
dessus alors qu’en studio, par contre, tu peux te mettre à l’ouvrage quand tu veux, et revenir dessus autant de fois que
tu veux. Comme tu l’as compris au travers de ma réponse, j’aime les deux !
L’artiste se lève alors et se dirige vers l’orgue Hammond
B3 qui se trouve pas loin de nous, se mettant à chanter. Moment exceptionnel que nous vivons avec une intensité émotionnelle
difficile à retenir car Liz McComb chante pour nous deux, rien que pour nous deux.
Lorsqu’elle revient vers nous, radieuse, elle nous glisse
:
Tu vois, Dominique, je peux soudainement
me mettre à chanter parce que j’en ai senti le besoin et que j’ai eu ce don en cadeau. Cela ressemble à du jazz, mais c’est
du gospel, ce que j’ai chanté pour vous.
Et si je te dis que c’est aussi du blues…
Oui, mais c’est simplement une étiquette.
Qui ne veut rien dire… Ecoute, plutôt…
A nouveau installée à l’orgue Hammond, elle se met à en
jouer, reprenant alors le même morceau que celui chanté précédemment, mais sur un tempo de blues. Avant de le jouer une nouvelle
fois, mais au piano, cette fois-ci, nous dédiant à tous deux ce concert privé. Inoubliable moment qu’il nous sera impossible
d’oublier…
Dominique Boulay
|