SOUL BAG Nƒ
128 (Automne 1992)
LIZ MC COMB, de
bonheur !
Installée
en France depuis quelques années, Liz Mc Comb s'est imposée
sur la scène hexagonale du jazz. Le succès du recueil "
Acoustic Woman ", qui met en évidence les multiples facettes
de son talent, et ses récentes apparitions à la télévision en
font l'une des artistes les plus sollicitées. Soul Bag fait
le point sur sa carrière.
- Parles-nous
de tes débuts ?
J'ai toujours
été passionnée par la musique. Toute petite, j'observais et
j'écoutais ma s¶ur aînée jouer du piano à l'église. J'ai pris
ensuite des leçons avec un professeur. Nous étudions la musique
classique mais je préférais, comme tous les jeunes, la musique
soul. Comme tous les membres de ma famille, je chantais aussi
à l'église. Nous appartenions à la Pentecostal Church. Enfant,
j'étais dotée d'une voix puissante et je me suis produite, toujours
comme soliste, d'abord dans mon église, pluis avec les Jean
Austin Singers. Jean Austin avait chanté avec Dorothy Norwood
et Shirley Caesar. Ensuite, j'ai participé à des tournées avec
les Barrett Sisters et Shirley Caesar. Les conditions matérielles
étaient le plus souvent difficiles mais nous adorions la musique
que nous pratiquions.
- Quelles ont été
tes premières influences ?
J'ai évidemment
été influencée par des figures du gospel comme Clara Ward, Aretha
Franklin et surtout Mahalia Jackson qui reste mon modèle. Me
produisant parallèlement en clubs, j'ai beaucoup écouté Gladys
Knight, Lou Rawls, Tony Bennett, Mel Tormé, un de mes chanteurs
favoris, et surtout Sarah Vaughan qui reste pour moi la plus
grande. Je trouvais Billie Holiday formidable mais, trop jeune,
je ne percevais pas encore toute la signification de son message.
- Comment as-tu pu
concilier les deux aspects de ton art : le côté gospel et le
côté jazz ?
Concilier
ces deux aspects : musique religieuse et musique profane, c'est-à-dire
si on s'en tient aux étiquettes : gospel et jazz, ne pose pas
de problèmes d'ordre musical car ces deux musiques sont extrêmement
proches et en fait n'en constituent qu'une. Pour employer une
expression consacrée, les uns disent " Jesus " quand
les autres disent " baby ". Les deux genres sont intimement
liés à la vie des Noirs américains. Toute la musique que nous
pratiquons, tout notre feeling vient de l'église. Ainsi Sarah
Vaughan, avant de faire la carrière que l'on sait, tenait l'orgue
dans on église.
Ray Charles
a été l'un des premiers à utiliser de manière systématique les
maniérismes vocaux du gospel pour chanter le blues. Son tube
I got a woman est en fait une adaptation d'un vieux spiritual.
Cependant, il est difficile aux Etats Unis de concilier les
deux genres vis à vis du public uniquement pour des raisons
de foi et d'éthique religieuse.
A ce sujet,
je voudrais raconter une anecdote pour éclairer le débat. J'appartiens
à la Pentecostal Church. Nous avons admis très tôt les instruments
de musique : guitare, saxophone, batterie... Maintenant tout
le monde s'est adapté, mais à l'époque ce n'était pas une pratique
courante. En particulier, les baptistes ne toléraient que l'orgue
et le piano. Si l'on écoute les premiers disques d'Aretha Franklin
on entend le " baptist sound ". C'est notre manière
de manifester notre foi qui n'est pas celle des Européens. Cette
sorte d'exutoire à nos peines a permis au peuple noir de survivre
au milieu des difficultés de toutes sortes qu'il a rencontrées
au cours de son histoire.
Quoiqu'il
en soit, lors d'une convention, à un moment où l'ambiance était
particulièrement débridée, un type s'est mis à chanter le blues,
très bien d'ailleurs, au lieu d'interpréter un gospel song.
L'excitation est brusquement tombée et l'auditoire est resté
de marbre. L'église n'était pas l'endroit destiné à cette musique.
Pour des raisons similaires, Sam Cooke a dû arrêter de chanter
du gospel après son premier hit. Pour ma part, je peux chanter
le blues ou le gospel, mais je n'aime pas mélanger les deux
genres.
- Quand es-tu venue
en Europe pour la première fois ?
C'était en
1979 avec la grande Bessie Griffin lors d'une tournée organisée
par Willie Leiser. Charles Barnet était notre pianiste. Jusqu'en
1982, j'ai partagé mon temps entre le vieux Continent et les
Etats Unis où je me produisais avec la pianiste Clementine Jones.
Ensuite, j'ai participé à un spectacle donné à Londres sous
le titre " The roots of rock and roll ". Dès lors,
travaillant régulièrement en Europe, j'ai participé aux festivals
de Montreux, berlin, Bergamo, Parthenay, Barcelone... J'ai aussi
assuré la première partie des concerts de James Brown et de
Ray Charles au cours de leurs tournées européennes. Ensuite,
nous avons constitué avec La Velle, Greg Hunter et Jerome Van
Jones le groupe Psalms et enregistré un disque intitulé "
Psalms " qui met en évidence un répertoire orienté vers
le gospel. Comme le montre mon dernier album " Acoustic
Woman (Back to Blues JBCD 726/Média 7), je compte élargir mon
répertoire et atteindre un public plus large tout en restant
fidèle à mes racines. Nul doute qu'elle n'y parvienne.
Propos recueillis
par Alain THOMAS
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