Liz McComb
« SOUL, PEACE & LOVE », Volume 1

 

Sortir le Gospel du « Ghetto » : c'est la mission accomplie aujourd'hui par Liz McComb. Comme jadis Mahalia Jackson, elle a su conquérir une audience aussi vaste que diverse, qui brasse les milieux et les générations, bien au delà du territoire traditionnel de cette musique.

Même si elle se décrit comme « une femme humble et simple, insignifiante », Liz McComb n'en est pas moins un personnage hors du commun, totalement atypique à son époque. Célibataire, plutôt secrète et même solitaire dans sa vie personnelle, elle a pourtant su établir par sa musique une relation très directe, fraternelle et remarquablement affectueuse avec toutes celles et tous ceux qui l'écoutent. Elle vit sa vie librement, dans un autre univers que celui des hypocrisies et des illusions de la « mondialisation ». Son monde à elle est celui des grands mystiques, qui puisent leur inspiration dans une foi aussi profonde que créatrice.

On peut sans doute écouter religieusement Liz McComb  : avec la même ferveur inconditionnelle que lorsqu'on écoute John Coltrane, Olivier Messiaen ou Nusrat Fateh Ali Khan, avec le même ravissement mystérieux que distille la lecture de Jean de la Croix, de Thérèse d'Avila ou de Léon Bloy.

UN CHANT D'AMOUR SANS LIMITES

Quand Liz McComb feule son admirable « Come Back, Lover !», on pourrait croire qu'il s'agit d'une chanson érotique. Ce serait oublier que depuis toujours les mystiques s'adressent à Dieu comme à l'« amant idéal». Cette tradition immémoriale, commune aux trois grandes religions monothéistes, a fait du Gospel la source de la plupart des styles de la musique populaire moderne.

Résolument hostile à tous les intégrismes, aux mentalités sectaires et à l'esprit de croisade revenu à la mode, elle s'adresse indifféremment aux adeptes de toutes les religions autant qu'à ceux qui n'en ont pas. C'est tout naturellement qu'elle n'hésite pas, par exemple, à s'écrier «Allah Akbar » lorsqu'elle chante devant un public musulman…

Au cours des dernières années, ses très nombreux voyages – en Afrique, aux Antilles, au Proche-Orient, dans toute l'Europe et l'Amérique du nord – ont approfondi sa conscience de « citoyenne du monde ». Ils ont aussi diversifié ses sources d'inspiration musicale, à tel point qu'un fameux critique américain a pu écrire qu'elle est en train d'inventer le «World Gospel ».

UNE « FAUTEUSE DE PAIX »

Ce septième album sous son nom est le premier volume d'une trilogie baptisée « Soul, Peace & Love », dont la parution s'étalera sur un an, ponctuée par de nombreux concerts dans le monde entier. C'est l'âme d'un projet doublement ambitieux : à la fois un manifeste pacifiste et une anthologie qui rassemble pour la première fois les meilleures chansons originales de Liz McComb, pour la plupart inédites.

Le 24 décembre 1999, Liz fut la seule américaine invitée à Bethléem par l'autorité palestinienne pour y chanter au cours du concert de Noël "the Choirs of the World"organisé avec l'aide de toute la communauté internationale comme l'apothéose des fêtes du « Jubilé 2000 » pour un nouveau Millénaire de Paix. Ce pèlerinage d'une rare intensité est resté profondément gravé dans sa mémoire. Dans le terreau de ce souvenir aussi exceptionnel qu'obsessionnel a germé la chanson «Peacemakers » : un hommage à tous les « faiseurs de paix » .

Ce beau cantique irénique, dont le texte est inspiré de l'Évangile selon Saint Matthieu et dont la mélodie n'est pas sans évoquer l'atmosphère irréelle des dernières cantates de Bach, n'est pas seulement l'un des sommets de cet album

UN DEMI-SIÈCLE DE MUSIQUE

Digne héritière du génial inventeur des gospel songs, le Reverend Thomas A. Dorsey (alias Georgia Tom pour les amateurs de blues coquin) qui en composa plus d'un millier, Liz McComb en invente treize à la douzaine. Certains sont d'une allure admirablement archaïque, comme « For Your Love is Better Than Wine », qui n'aurait sûrement pas échappé au micro du cher et regretté Alan Lomax, tant il semble surgir du tréfond de l'âme africaine-américaine, de ces «work songs » pathétiques du temps de l'esclavage dont le plus intelligent des musicologues allait traquer les derniers feux dans les pénitenciers.…

Ce premier volume de la trilogie « Soul, Peace & Love » est d'ailleurs avant tout une déclaration d'amour de Liz McComb adressée à cette Amérique méconnue, aussi obscure que lumineuse qui est la sienne. La plupart des titres y ont été enregistrés aux quatre coins de l'Amérique et des Caraïbes à la rencontre de quelques uns des musiciens qu'elle aime .Liz a ainsi retrouvé à Los Angeles le Révérend Harold T. Johnson, un fabuleux organiste qui l'accompagne en tournée depuis de longues années, qui lui a présenté le bassiste, Leroy Ball. Résultat : trois chefs d'œuvre absolus, dont le bouleversant « Silver & Gold », avec une magnifique partie de violoncelle qui contribue à en faire le plus original des gospel songs enregistrés en ce début du XXI° siècle.

Liz y a aussi retrouvé les célèbres vétérans the Blind Boys of Alabama… le chant et le piano impérieux de Liz McComb, grâce au guitariste Joe Williams, ont fait de « For Your Love is Better than Wine » une magnifique performance polyphonique.

Depuis longtemps, Liz McComb est fascinée par les chants et les tambours gwo-ka de la Guadeloupe. Les musicologues nous racontent depuis longtemps que le Gospel, et toute la musique africaine-américaine qui en a découlé, vient de l'absence des tambours, interdits aux Etats-Unis au temps de l'esclavage. En assistant à ces retrouvailles, en écoutant Liz McComb qui chante «Remember Me » ou le bon vieil hymne « By the Rivers of Babylon », on se dit que cette histoire doit être plus complexe qu'on ne l'a dit.

….Finalement, le Gospel est il une musique traditionnelle ?

Liz McComb semble démontrer le contraire en recréant le spiritual sempiternel par excellence, « Oh When the Saints », et en le faisant très habilement dynamiter par le rapper de Washington DC, Tony Dorsey.

Mais elle s'empresse aussitôt de revenir à ses racines, lorsqu'elle se retrouve parmi les siens, avec sa mère et ses sœurs, dans cette Église St Luke de Cleveland où elle a tout appris. : alors une basse vrombit, un petit batteur forcené découpe le temps au canif, un chœur sans age armé de tambourins se révolte et se révulse, et sans aucune harmonie évidente chacun se déchaîne. Une mystérieuse folie s'empare de tous, et Liz McComb elle-même ne semble plus entendre ce qu'elle halète : « Can't Nobody Know My Trouble » ?

Nul besoin de mots, la musique est là …..